La stratégie numérique de l’Etat analysée par la cour des comptes
La stratégie numérique de l’Etat en 2024
L’ensemble des initiatives de l’État en matière de numérique est piloté par la Dinum (Direction interministérielle du numérique). Cette organisme a connu une gouvernance changeante qui ne facilite pas la cohérence des politiques.
La succession de trois directeurs depuis 2018, aux visions très affirmées mais différentes, a contribué à entretenir des incompréhensions et des défauts d’adhésion sur ses orientations.
Trois périodes avec trois stratégies :
- 2018 Etat plateforme pour décloisonner les services
- 2019 Tech gouv pour aider les ministère à se digitaliser
- 2023 stratégie numérique au service de l’efficacité de l’action publique
La stratégie 2023 est centrée sur une meilleure maîtrise de la conduite des grands projets numériques de l’État, le renforcement de ses compétences par la professionnalisation des ressources humaines (constitution d’une « filière numérique »), la poursuite de l’exploitation des données publiques et une souveraineté numérique accrue de l’État.
C’est assez clair et conforme aux besoins de l’Etat.
Signe de l’importance prise par les enjeux numériques au sein de l’administration, le budget de la Dinum a été multiplié par cinq entre 2019 et 2022. Illustration avec le graphique ci dessous.
Ce budget, 140 millions d’euro peut paraitre important pour un particulier. C’est peu, que cela soit ramené au nombre de fonctionnaires ou à la population. En fait, il faudrait dépenser plus. Les moyens sont réduits et le risque de saupoudrage est fort. J’entends par cela ouvrir beaucoup de projets avec de petits budgets pour faire face aux besoins avec le risque de n’aboutir à rien avec si peu.
La gestion des ressources humaines pose problème
La gestion des ressources humaines de la Dinum connait un fort degré de complexité en raison d’une gestion éclatée, d’une grande instabilité des effectifs et de conditions de recrutement difficiles dans un secteur très concurrentiel. Les effectifs sont en hausse continue (+ 43 % entre 2020 et 2023) et devraient continuer de croître en 2024, même si les changements de directeurs se sont traduits en 2019 et 2022 par des vagues de départs consécutifs à des désaccords stratégiques.
C’est une catastrophe RH. C’est le plus gros point noir du rapport, selon moi. Le taux de rotation est extrêmement élevé. C’est une source de gaspillage d’argent et de compétences. Comment piloter des projets long terme avec une telle perte de compétences.
Pourtant on ne parle pas de 2 000 personnes mais de moins de 200. C’est l’équivalent d’une PME à gérer niveau RH.
L’ouverture des données publiques est un demi succès
La démarche OPEN DATA, ouverture des données publique à tous, en déposant les éléments sur des plateformes est une nécessité démocratique de transparence et de responsabilité. Ces informations sont nécessaires au public pour comprendre l’usage qui est fait des moyens, pour utiliser les données publiques dans les applications.
Suivie par la mission Etalab au sein de la Dinum, l’ouverture des données publiques a permis de rendre disponible plus de 47 000 jeux de données sur data.gouv fin 2023.
Cet effort important reste hétérogène selon les ministères : alors que le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse a ouvert la totalité des 20 jeux de données prioritaires, celui de la justice n’a ouvert aucun des 11 jeux de données prévus.
Nécessité de disposer d’une identité unique nationale
J’ai déjà évoqué le projet France Connect qui permet a chaque citoyen de disposer d’un identité unique pour les démarches administratives. Ce projet patine depuis plusieurs années faute de moyens et d’ambitions.
Les produits interministériels pilotés et gérés par la Dinum, tels que « France Connect », « Démarches simplifiées » ou data.gouv.fr, constituent des programmes phares.
À ce jour, malgré la pertinence de certains produits, la coordination et la gouvernance interministérielle de ces services proposés à toutes les administrations sont lacunaires, aucun comité de pilotage associant les ministères et utilisateurs n’ayant été constitué pour recueillir leurs besoins. Les ministères estiment être insuffisamment associés à la conception et au déploiement de ces produits.
L’espoir de la suite numérique de l’agent public
Dans le cadre de sa politique de souveraineté, L’Etat développe ses propres logiciels. Il se place en concurrence frontale avec les GAFAM avec des moyens bien moins importants en finance et en marketing.
Quand les étudiants ont les logiciels Microsoft pour presque rien et sont donc formés autour de cet ecosystème, c’est difficile de leur faire utiliser d’autres solutions quand ils deviennent fonctionnaires.
Si les moyens étaient plus importants, les étudiants devrait avoir ces offres à disposition dans le cadre de l’éducation nationale.
La principale inquiétude réside dans « la suite numérique de l’agent public », qui, au- delà des logiciels d’échange (messagerie instantanée, logiciels de conférence audio et visio), doit fournir aux agents publics de nouvelles briques de messagerie, stockage et édition collaborative interministérielles. Ces produits, peu connus, peu utilisés et dont le coût devrait continuer à augmenter, ne semblent pas à ce jour en mesure de concurrencer les offres proposées par le secteur privé, déjà largement adoptées par les agents.
La suite numérique présente un coût important. D’une part, le coût total de déploiement était, à la fin de l’année 2023, de près de 9,3 M€ (concentré sur « Tchap » à 60 %).
D’autre part, le coût annuel en maintenance était de 5 M€ (dont 40 % pour « Tchap »), sans compter les éventuels coûts des astreintes sur certains projets. Les réflexions autour des gains liés à la mutualisation des produits interministériels sont en cours. Selon la Dinum, ce niveau de dépenses doit être relativisé. Elle estime en effet que les dépenses engagées pour des licences privées ouvrant l’accès à une suite numérique (bureautique, messagerie, échange de fichiers) s’échelonnent entre 300 et 590 euros par an et par agent.
La cour des comptes se trompe d’échelle de valeur. Ce cout est modique par rapport à ce que coute les suites du privé au regard de l’objectif d’indépendance et de souveraineté. Il faut continuer à investir plus pour diffuser plus ces solutions.
À ce jour, la suite numérique a un coût d’un peu moins de 15 M€ pour une utilisation en moyenne par moins de 200 000 agents, soit environ 75 € par agent et par an. Pour autant, la suite numérique de l’agent public demeure une offre peu lisible et instable, qui reste inconnue de la plupart des agents.
D’après le baromètre de l’agent public de 2022, ces outils sont en effet méconnus et inutilisés par près de 70 % des agents. Le niveau de satisfaction de ces outils interministériel est plutôt bon, même si le taux d’agents s’en déclarant « très satisfaits » ne dépasse jamais 16 %. Par ailleurs, les statistiques d’impact des produits interministériels, si elles font l’objet d’une communication transparente, ne sont pas encore totalement consolidée.
Source de l’article : LE PILOTAGE DE LA TRANSFORMATION NUMERIQUE DE L’ÉTAT PAR LA DIRECTION INTERMINISTERIELLE DU NUMERIQUE
Ajouter commentaire